Le Figaro : LES PATRONS DE NRJ GROUP ET DE SKYROCK CRITIQUENT LES PRATIQUES DE FUN RADIO

Le Figaro27 Jun 2016PROPOS RECUEILLIS PAR ENGUÉRAND RENAULT @erenault

Crédits photo : Ulysse Guttmann

Jean-Paul Baudecroux, PDG de NRJ Group, et Pierre Bellanger, PDG de Skyrock, reviennent sur l’affaire Fun Radio et la question de la mesure des audiences.
LE FIGARO.- Avec Lagardère, RMC et les indépendants, vous accusez Fun d’avoir fraudé la mesure d’audience. Christopher Baldelli, le patron de RTL, a répondu qu’il n’y avait que trois messages litigieux et que rien ne prouvait la fraude. Que répondez-vous ?
Jean-Paul BAUDECROUX.- Je réponds qu’au lieu de 3 messages, il y en a 105 messages qui ont été constatés par huissiers en écoutant les piges du morning de Fun. C’est le CESP, organe de contrôle de Médiamétrie qui nous a alertés et a parlé « d’une fraude massive » , organisée portant sur de nombreuses vagues d’audience. « Fun a incité les auditeurs à mentir à Médiamétrie. » Nous avons vérifié et nous avons découvert de très nombreux messages frauduleux et nous en découvrons encore de nouveaux.

Pourquoi avez-vous mis huit à mois à vous apercevoir d’une tricherie ?
Pierre BELLANGER.- Le contrat qui lie les radios à Médiamétrie mais aussi aux agences médias et aux annonceurs est un lien de confiance. Quand nous écoutons nos concurrents, c’est pour voir ce qu’ils font de bien. Nous ne recherchons pas la fraude puisque nous sommes sur une présomption de confiance. L’article 7 des statuts de Médiamétrie est très clair. « Le souscripteur s’interdit tout acte et toute initiative ayant pour objet ou susceptible d’avoir pour effet, directement ou indirectement, d’affecter les conditions de recueil par Média- métrie, des résultats d’audience. » Il y a un devoir de loyauté. À aucun moment, une radio ne doit influencer le recueil de l’audience. Médiamétrie est en train d’étudier cette fraude massive qui a eu des conséquences sur les audiences, mais a aussi impacté les agences médias, les annonceurs et les directions des programmes des radios puisque tous ont pris des décisions sur des chiffres faussés.

Vous aussi vous parlez de Médiamétrie sur NRJ et Skyrock ?
J.-P. B. – On ne parle de Médiamétrie qu’une fois tous les trois mois, à l’occasion de la parution des résultats d’audience. Le fait que l’animateur du morning de Fun en parle aussi souvent, même si ça plombe l’ambiance, est étonnant. Quelle est la légitimité éditoriale de parler aussi souvent de Médiamétrie sauf si c’est pour frauder ? C’est du jamais vu dans l’histoire de la radio.

Quand Médiamétrie va-t-il rendre ses conclusions ?
P. B. – Il est probable qu’il le fasse en début de semaine prochaine. Je rappelle que Médiamétrie est un bien commun à toutes les radios. C’est l’instrument de mesure à partir duquel tous les acteurs arbitrent les investissements et les choix de programmation. L’institut mène actuellement une enquête scientifique pour savoir s’il y a eu contravention à l’article 7 et si cette contravention a eu un impact sur les résultats d’audience. Tout le marché est actuellement en suspens avec des conséquences et des préjudices considérables pour tous les acteurs. Il faut donc faire vite.

Avez-vous pu mesurer les préjudices pour vos antennes et vos recettes publicitaires ?
J.-P. B. – Oui, tout à fait. Quand on voit la courbe d’audience de Fun Radio pratiquement verticale, on est stupéfait. Je tiens à souligner que la progression d’audience de Virgin Radio n’a rien à voir avec celle de Fun contrairement aux dires de Christopher Baldelli. Le CESP a souligné que la campagne et le mécanisme de manipulation mis en place par Fun peuvent entraîner des effets de rémanence important sur les auditeurs de cette station. C’est un élément très grave et les effets de cette campagne vont se prolonger encore pendant des mois et des mois. Car Fun a associé de façon perverse son nom à celui de Médiamétrie et a provoqué un réflexe chez les auditeurs, en leur demandant en outre de répondre Fun aux enquêteurs à l’exclusion de toute autre radio.

Pourquoi avoir demandé de supprimer la prochaine parution des audiences radio ?
J.-P.B. – Les radios, les annonceurs et les agences médias ont été floués. Des investissements publicitaires ont été indûment faits sur Fun sur la base d’audiences fausses.
P. B. – Dès lors que la fraude a été constatée, nous avons interrogé Médiamétrie pour une solution. Médiamétrie ne pourra pas publier, sans réagir, une vague d’audience fausse en juillet. Médiamétrie est le régulateur du marché. Il doit prendre ses responsabilités car c’est le garant de la mesure. Si quelqu’un triche, il doit en tirer les conséquences et le sanctionner.

Ne craignez-vous pas que cette affaire ait un effet négatif pour le média radio et que les annonceurs ne s’en détournent ?
J.-P. B. – Au contraire. La fraude de Fun démontre, par l’absurde, l’efficacité de la mesure d’audience car quand on dit qu’on écoute Fun dans les sondages, cela se retrouve bien au final dans les résultats d’audience. Cela prouve aussi le pouvoir de persuasion d’une station radio sur ses auditeurs.
P. B. – Tous les marchés font face à la fraude à un moment ou un autre. Ils en tirent les conséquences. Le marché de la radio va sortir renforcé de cette affaire. Car il est rare que les patrons des principaux groupes de radios en France parlent d’une seule voix. Et cela pour défendre la loyauté de la mesure d’audience et le rôle de Médiamétrie qui engageait son travail de contrôle. C’est assez rare de voir un marché qui a des réflexes aussi sains.

Avez-vous discuté avec les annonceurs ?
J.-P. B. – Ils ont été très choqués. C’est à eux de faire valoir leurs droits. Nous, nous attendons de façon très sereine les conclusions de Médiamétrie.
Quelle que soit la décision de Médiamétrie, vous l’accepterez ?
P. B. – Je pense que si Médiamétrie refusait de tirer les conséquences de la fraude et disait « circulez y a rien à voir », cela nous poserait un grave problème vis-à-vis de l’organisme de mesure d’audience. Mais ce n’est pas le débat aujourd’hui. Nous sommes confiants, comme certainement l’ensemble du marché, pour qu’une solution soit trouvée. Nous sommes dans une logique positive d’intérêt général, pas de confrontation.
J.-P. B. – Si Médiamétrie ne disait rien, ce serait très grave. Un peu comme si un policier détournait la tête face à une agression.

Allez-vous remettre en cause l’existence de Médiamétrie ?
J.-P. B. – Nous ne voulons pas le remettre en cause, mais nous voulons que le fraudeur soit lourdement sanctionné.
P. B. – Il faut un « Funexit ».

Source : Le Figaro