Qui ?
Pierre Bellanger, Pdg de Skyrock, et créateur du réseau social Skred.
Quoi ?
Le point sur cette messagerie qui protège la vie privée et décolle mondialement.
Comment ? Pourquoi cette messagerie ?
C’est le même état d’esprit qui m’anime depuis les radios libres : la liberté d’expression comme moyen d’émancipation. Au XXème siècle, la liberté d’expression c’était se faire entendre de tous, faire du bruit. Au XXIème, la liberté d’expression, c’est choisir qui entend, c’est le secret.
Bien sûr, nous avons la liberté de nous exprimer, mais c’est une fausse liberté. Car, si l’on ne sait pas qui écoute, finalement on ne sait pas ce que l’on dit. Le théoricien de la communication Paul Watzlawick écrit : « Je comprends ce que j’ai dit quand on me répond ». C’est le destinataire du message qui en forme le sens. Et, donc, si je ne sais pas à qui je parle, on peut interpréter et me faire dire n’importe quoi. Il y aussi cette dangereuse idée que transparence et honnêteté seraient synonymes. « Je n’ai rien à cacher » entend-on. Même aux Nazis ?
On présuppose que la faute est consubstantielle à celui qui cache et que l’observateur est honnête et de bonne foi. C’est souvent l’inverse ! Pourquoi y-a-t-il des isoloirs ? Pas pour cacher un délit mais parce que le sens du vote n’appartient qu’à soi.
J’ai aussi, depuis la création de France en Ligne en 1993, – société de services en ligne associée à France Télécom – mené une réflexion sur ce que j’ai appelé la souveraineté numérique, c’est-à-dire la maîtrise de notre destin sur les réseaux numériques, en fait : l’extension de la République au réseau. Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin. C’est pourquoi, il fallait créer une messagerie sécurisée qui garantisse la liberté d’expression de ses utilisateurs.
Nous avons ainsi imaginé une messagerie mobile pair à pair, c’est-à-dire sans serveur intermédiaire de transit – toujours vulnérable – ; sans email ou numéro de mobile pour s’inscrire – toujours traçable – ; et sans carnet d’adresse, qui donne tous vos contacts au premier venu. Il y a aussi sur Skred la possibilité d’ouvrir, en toute confidentialité, autant d’instances de messageries que l’on souhaite : indécelables si l’on s’empare de votre mobile …
Et ainsi préserver le secret absolu tout autant d’organisations lointaines que de son entourage. Le fait d’être en pair à pair fait que les messages ne passent pas par nous et que par conséquent nous ne sommes pas contraints à en limiter la qualité du son ou de l’image pour faire des économies.
Avec Skred, vous avez une communication gratuite HD pour le vocal et la vidéo. On peut d’ailleurs transférer des pièces jointes de toute nature sans limite de taille … Cet échange haut débit intéresse d’ailleurs le secteur de l’imagerie médicale.
Quelle a été la genèse du projet ?
En 2007, alors que le web dominait et que le navigateur était la porte d’entrée sur le réseau – l’iPhone venait d’être lancé – je me suis demandé quelle était la suite. Il est apparu que c’était le mobile qui allait tout emporter et que la porte d’entrée serait l’application que l’on utilise le plus : la messagerie. Il suffit de voir WeChat et ses multiples fonctionnalités aujourd’hui pour comprendre que cette dynamique n’en est qu’à ses débuts. J’ai tenté par deux fois de créer une messagerie : d’abord en 2009, autour des groupes – une nouveauté alors – puis une seconde en 2012. La messagerie s’appelait Djembus. Ce fût chaque fois un échec avant même un potentiel lancement et même si le code produit était de qualité.
Je gardais cependant l’idée en tête. En 2014, à l’occasion de conférences sur la souveraineté numérique à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique), un contact se fit avec deux chercheurs qui réfléchissaient à ces questions. J’expliquais à cette conférence que, sans souveraineté numérique, il fallait créer des îlots souverains comme les centres serveurs, c’est la réussite d’OVH ; des systèmes d’exploitation -comme Clip OS de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) – des protocoles de chiffrement et des messageries sécurisées.
Et là, pour ce qui nous concerne, nous avions une vrai compétence en ergonomie et usage grand public avec plus de dix millions d’applis téléchargées et enfin tout un cahier des charges … Nous avons donc travaillé ensemble, intégrant leurs couches logicielles aux nôtres puis ajoutant celles de Quarkslab, une société française au premier plan mondial de la sécurité numérique. Enfin, s’est joint à la partie, Yogosha, la fameuse plateforme de BugBounty animée par des « hackers » civiques attaquant sans cesse notre appli à la recherche de failles …
Nous avons lancé l’application Skred voici exactement un an avec une campagne sur Skyrock et nos réseaux ainsi qu’un appoint sur RTL et NRJ, un clin d’œil à nos confrères …
Comment fonctionne la messagerie ?
Notre slogan pourrait être : « Ne nous faites pas confiance ». Si demain un acteur avide de données rachetait Skred, il ne pourrait rien en faire : aucun message n’est passé par nous et nous n’avons aucun identifiant pour nos utilisateurs autre que leur pseudo. Le message que vous envoyez reste dans votre machine tant que votre correspondant n’est pas en situation de le recevoir. C’est le modèle pair à pair du Napster de 2000 pour l’échange de fichiers musicaux : le service met en relation les utilisateurs sans que jamais il ne soit transitaire.
Avec quelle adoption ?
On est en train de vivre un truc exceptionnel. En douze mois, on a 700 000 utilisateurs actifs dans le monde entier, et 4 000 nouveaux utilisateurs par jour. Une activation toute les 20 secondes ! Dans le monde entier, des plus démunis aux plus aisés. Les Haïtiens se servent de Skred pour communiquer, les Émiratis pour garantir la confidentialité de leurs échanges. Chaque nouvel utilisateur a un coût d’acquisition nul et un coût en bande passante zéro. C’est une exponentielle, c’est un succès incroyable.
Vous avez un potentiel de licorne, comment éviter le pétard mouillé à la Skyblog ?
Je récuse l’expression « pétard mouillé », les Skyblogs ont été le 17eme site mondial dans les années 2000 et sont aujourd’hui avec plus de 20 millions de blogs actifs le premier réseau social de blogs français et le premier réseau social mondial francophone. Mais c’est vrai, nous nous sommes trompés. À l’époque, entreprise de divertissement et de communication ayant lancé ce réseau pionnier en 2002 au succès phénoménal, nous avons vu l’arrivée de la concurrence comme une compétition normale.
Nous n’avions pas compris que la collecte massive de données était un enjeu d’État. Nous avons eu la naïveté de nous croire dans une compétition commerciale classique alors que nous affrontions, certes des entrepreneurs de grand talent, mais surtout un complexe militaro-numérique et une industrie du renseignement aux ressources sans précédent. Snowden n’avait pas encore prouvé cette symbiose qui structure aujourd’hui nos réseaux. Nous en avons aujourd’hui la lucidité.
À tel point d’ailleurs que leur force est leur vulnérabilité : la collecte des données. Nous ne sommes pas concurrents, nous ne collectons rien. Le grand public d’ailleurs continuera d’utiliser les brillantes applications comme SnapChat et autres. Nous nous adressons aux utilisateurs conscients que le prix qu’ils payent pour avoir des oreilles de lapin est leur vie privée. Cela correspond à un tiers des utilisateurs, c’est gigantesque. On peut construire un géant. Et ce géant, c’est nous.
Allez-vous faire de la publicité sur Skred ?
Il est quasi impossible aujourd’hui de lancer une nouvelle entreprise numérique dont la ressource de base soit la publicité. Le marché s’est concentré sur deux acteurs principaux. Si le groupe Skyrock fait un quart de son chiffre d’affaires en numérique, c’est parce que nous avons une puissance, des talents et une relation de confiance prouvée avec les marques dont peu peuvent se prévaloir.
Nous avons connu une part de numérique à 50 % avant que l’écosystème d’aujourd’hui se mette en place, c’est dire notre potentiel. Enfin, et c’est rédhibitoire compte-tenu de la confidentialité du service, nous ne pouvons accepter sur Skred, les logiciels de contrôle et de captation de données propres au marché publicitaire : les SDK (Software development kit). Pour l’avenir, nous réfléchissons à notrepropre SDK fondé sur le respect irréprochable de l’anonymat. Si nous réussissons nous le mettrons en place lorsque le nombre d’utilisateurs sera suffisant.
Lequel ?
Je ne sais pas. Cela se compte en millions. De toute façon, le modèle actuel de Skred ne repose pas sur la publicité. Nous avons une version professionnelle de Skred : Skred Pro. Nous l’installons pour des banques, des cabinets d’avocats, voir même des administrations. Le serveur est chez le client. Qui n’a pas besoin de se garantir et de garantir à ses clients des communications sécurisées ? Qui peut aujourd’hui, à l’heure du RGPD (Règlement général sur la protection des données), continuer dans le déni et s’imaginer à l’abri ? Maintenant le gros développement qui nous occupe, outre les améliorations constantes du service est un système de transaction anonyme par Skred, sans avoir recours à une crypto-monnaie et bien entendu en respectant la législation française.
Crédit : Petit Web – Geneviève Petit